Droits culturels et santé





OBSERVATION DE L’EFFECTIVITE DES DROITS CULTURELS
Fiche d’identification de cas d’école tirés des pratiques professionnelles
Programme
Paideia 4D+
Nom de l’observateur
J.-M. PICARD, Dr F. PELLET, P. BRETON-MEUDIC, J.-P. AUBERT
Date :   13 /  03  / 2015     
Institution et site web de l’observateur
Collectif de l’Université de la Grande Santé
http://lagrandesante.blogspot.fr
Titre de l’observation
Droits culturels et promotion de la santé


Enjeux
Augmenter le pouvoir d’agir et de décider en santé, contribuer à diminuer le gradient d’inégalités sociales de santé et le recours au soin curatif, et faire reconnaître les droits culturels, des soignés, des soignants et des ardéchois, par un changement de paradigmes.

Description
Identifier les principaux acteurs de la pratique
Personne(s) / institution(s) :
Site internet lié au cas observé :
Collectif (constitution juridique à réfléchir)          http://lagrandesante.blogspot.fr/p/les-actes-2014.html

Le collectif associe médecins, paramédicaux, psys, professionnels de l’éducation, philosophes, sociologues, associations professionnelles, de patients, collectif d’usagers du système de santé, assurance-maladie, mutuelles santé, patients, institut de formation en soins infirmiers d’Aubenas, Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ardèche et Rhône-Alpes), centre socio-culturel, représentants de la société civile, 
du monde artistique et culturel, habitants, élus, municipalités.

Lieu et durée de la pratique : Territoire sud Ardèche, région rhône-Alpes.   Action sur le long terme.

En quoi consiste brièvement la pratique ?
La promesse thérapeutique si forte soit-elle faite à un être humain n’est pas suffisante, car comme le disent les malades, avoir des traitements c’est bien, mais il faut pouvoir inventer la vie qui va avec. 
Catherine Tourette-Turgis. Fondatrice de la première université des patients.

La notion de “vivre avec” se précise de plus en plus et engage : d’un côté, les soignants à réévaluer leurs pratiques professionnelles ainsi que leurs postures et de l’autre côté, les patients à s’impliquer dans une volonté de participation, d’action et  d’être en capacité de faire des choix éclairés.
Inauguration de l’Université des Patients, Grenoble, 28 novembre 2014.

La connaissance scientifique est incapable de se connaître elle-même. Nul n’est plus désarmé que le scientifique pour penser la science[1]. C’est ainsi que le progrès des aspects bénéfiques de la science est corrélatif de ses aspects nocifs ou mortifères, que le progrès des connaissances l’est d’un progrès de l’ignorance et que le progrès des pouvoirs de la science est corrélatif de l’impuissance accrue des scientifiques à l’égard de ces pouvoirs. À l’échelle globale d’une société, les gains de qualité de vie apportés par la science et ses applications doivent être comparés aux conséquences néfastes du développement de nos sociétés riches. Le développement de la science conduit à une pensée unique qui détruit toutes les autres formes de pensées concurrentes qui ont pourtant fait leurs preuves dans les sociétés occidentales préscientifiques et tant d’autres cultures. Il en résulte un appauvrissement généralisé des concepts, des cultures et des savoirs populaires[2]. Le progrès scientifique et biomédical ont pour contrepartie une régression des soins de santé en général, ainsi que des soins préventifs[3] et donc une diminution des droits culturels. L’interrogation des paradigmes des professionnels de santé et de l’épistémologie[4] sous-jacente sont donc aujourd’hui les premières exigences éthiques[5].

De ce constat est né la nécessité de nous interroger sur ce qu’est la santé, dont « le silence qui entoure cette question peut être considéré comme un symptôme révélateur de la connaissance que l’homme  a de lui-même »[6].

De la volonté de quelques-uns, sur le territoire Sud Ardèche, est née le désir de tendre vers la construction d’une culture partagée centrée sur la personne, dans le but de se transformer ensemble par des actions transversales. Pour cela, ce collectif informel a jugé utile d’entamer un travail sur les représentations culturelles du soin et de la santé, des personnes, des groupes, des collectivités et des institutions.
La recherche-action a débuté en décembre 2013 par la constitution d’un groupe de pilotage comprenant des professionnels de santé, des formateurs, des habitants, des associations, des représentants du Conseil général, du monde de la culture et de l’art. Nous avons proposé de débuter par deux journées d’échange de pratiques et de débats.

L’objectif spécifique de la première journée de l’université de la grande santé était de : Rapprocher les acteurs du secteur social, médico-social, médical, éducatif, associatif et de la promotion de la santé, des habitants pour susciter l’envie de réfléchir aux façons de partager ensemble une culture en santé et de poser la question de l’opportunité d’une concrétisation d’un collectif autour des valeurs de la promotion de la santé.

La première journée a été construite avec deux deux axes en tête :
-        Tendre vers une démarche participative.
« La démocratie participative favorise les rapports de réciprocité, en permettant la recréation d'un lien social désagrégé par la montée de l'individualisme et la fuite en avant dans le système de la concurrence et de l'intérêt. Elle va de pair avec la renaissance des communautés vivantes, la recréation des solidarités de voisinage, de quartier, sur les lieux de travail, etc. Participer, c'est prendre part, c'est s'éprouver soi-même comme partie d'un ensemble ou d'un tout, et assumer le rôle actif qui résulte de cette appartenance.[7] »
-        Aborder les choses du point de vue de la santé communautaire, de la promotion de la santé et de la salutogenèse.
• Il y a santé communautaire quand les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, réfléchissent en commun sur leurs problèmes de santé, expriment des besoins prioritaires et participent activement à la mise en place et au déroulement des activités les plus aptes à répondre à ces priorités.[8] La santé communautaire implique une réelle participation de la communauté à l’amélioration de sa santé : réflexion sur les besoins, les priorités ; mise en place, gestion et évaluation des activités.
• Selon la charte d’Ottawa[9], la promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l'améliorer. Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l'individu, ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s'y adapter. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie; c'est un concept positif mettant l'accent sur les ressources sociales et personnelles et, sur les capacités physiques.
• La salutogenèse[10] cherche à prouver de façon scientifique l’importance des facteurs salutogéniques notamment pour améliorer la qualité de vie de personnes atteintes de handicaps et de maladies chroniques sévères ou vivant dans des conditions particulièrement précaires. Nous ne pouvons espérer réduire les inégalités sociales de santé sans réflexion non plus sur cette approche positive, individuellement et collectivement.

Une démarche participative en santé communautaire ne se décrète pas et se construit au fil du temps quand chacun trouve sa place, s’approprie et partage le projet. La multiplicité des acteurs, la complexité d’une approche systémique, les changements de paradigmes et le caractère novateur de l’approche participative demandent un temps d’appropriation du projet. Les disponibilités (horaires de travail différents) des professionnels, l’éloignement de certains acteurs ont été des difficultés supplémentaires à cette construction.

è Se référer aux Actes de la première journée de l’université de la grande santé qui s’est déroulée le 14 novembre 2014, en ligne : www.lagrandesante.blogspot.fr
Quels sont les autres acteurs impliqués ? A quelle(s) étape(s) du processus ?
La façon dont les professionnels, les personnes, les institutions, les collectivités locales, le monde associatif s’approprie(ro)nt ou non les valeurs portées par la promotion de la santé, par la santé communautaire, par la salutogenèse, par l’éducation des patients, par la diversité des conceptions de la santé, sont de bons indicateurs de la prise en compte ou non des droits culturels dans ce champ.

Le premier constat a été celui d’une participation restreinte des professionnels qui attendent des solutions concrètes plus que de remettre en question ce qu’ils pensent de la santé et de tendre vers une réflexion en amont et d’adopter une posture réflexive sur l’accompagnement des malades chroniques et sur les déterminants de santé.

La préoccupation première des élus reste celle de la désertification médicale. Elle n’est pas encore perçue comme une occasion de repenser nos paradigmes pour tendre vers une santé positive.

Si la prévention et la lutte contre les facteurs de risque est aujourd’hui intégré dans l’esprit des professionnels, il n’en est pas de même des concepts positifs de santé. Si le grand public se mobilise aujourd’hui que sur des thématiques de “bien-être”, c’est plus sur un mode réactionnel et consommateur que participatif. Nous souhaitons donc publier et diffuser le plus largement possible le contenu des actes de la journée du 14 novembre, avec des pistes de réflexion pour réunir suffisamment de personnes intéressées par ce projet. La prise en compte dans la réflexion des droits culturels devrait faciliter l’adhésion de publics non professionnels ou de champs disciplinaires autres que celui de la santé (social, culturel).

Nous avons du réduire à une journée, les activités que nous souhaitions développer intialement sur deux jours faute de moyens logistiques et financiers suffisants. Des ateliers transversaux ont dû malheureusement être abandonnés.

Pour les prochaines journées, le cahier des charges devra impérativement s’appuyer sur :
-        le respect d’une construction participative au plus haut niveau possible (cahier des charges de la santé communautaire, implication des élus) et la plus tranversale (secteur santé, social, culturel),
-        l’écriture du projet s’appuiera sur la méthodologie issue du champ de la promotion de la santé : outil de catégorisation des résultats-OCR[11] pour définir les objectifs, les actions[12], l’évaluation[13] et sur une lecture au regard des droits culturels,
-        la matérialisation juridique et financière du collectif en une association
-        les NTIC comme Hangouts pour échanger lors des réunions pour ne pas être contraints par les distances géographiques.

Pour identifier les partenaires potentiels de notre première manifestation nous   avons schématisé ce qui a été mis en avant par les différents participants des premiers copils en l’associant à des réflexions-actions antérieures (MSP des Vans, ateliers aux Thermes de Neyrac-les-Bains,…) et à ce nous comprenons nous-mêmes aujourd’hui de la complexité de notre système de santé :
Nous pourrions faire une analogie avec un conducteur (zone grisée) qui serait dans un véhicule dont les roues peuvent ou non tourner dans le même sens, muni de quelques bagages dans le coffre (ressources) parmi ceux qui sont à sa disposition. La destination peut être claire, floue, chaotique, voire impossible (exemple : embouteillage, accident, 
catastrophe) en fonction de la visibilité, du paysage et de l’état de la route.

Analyse


Quels sont les libertés et droits culturels concernés par cette pratique ? Pour chacun d’entre eux, identifier les aspects positifs et/ou négatifs.
3a
Choisir et respecter son identité culturelle

La première journée a favorisé la diversité des regards sur la santé et les thèmes ne concernaient pas les seuls professionnels de santé. Des points de vue différents ont pu être exprimés et chacun s’est senti libre d’exprimer ses opinions sur le système de santé. Chacun s’est senti en capacité de contribuer à la réflexion en rapportant ses façons de faire et d’être face à la souffrance, à la maladie et au handicap.
Un élément négatif doit être signalé : nous n’avons pu trouver un lieu d’accueil accessible à toutes les personnes à mobilité réduite.
3b
Connaître et voir respecter sa propre culture, ainsi que d’autres cultures

La première journée a tenté de valoriser la diversité culturelle des acteurs, de santé (médecins, infirmier[e]s, psychologues, art-thérapeutes, philosophes, travailleurs sociaux,…), des habitants et d’associations de patients. La transversalité a été le maître-mot de cette journée.
3c
Accéder aux patrimoines culturels

L’objectif était de favoriser la prise de conscience de la nécessité d’une culture partagée en santé, centrée sur la personne (sentiment d’impuissance, LOC[14] de santé, estime de soi, capacités psycho-sociales, pouvoir d’agir, auto-efficacité, résilience,…), sur les déterminants sociaux de santé (notamment les inégalités sociales par construction et par omission dans le système de santé (P. LOMBRAIL[15]), capital culturel,…) et la prise en compte des capabilités[16] sur le plan social.
La première université des patients[17] a vu le jour à Paris (Université Pierre et Marie Curie) en 2009 sous l’impulsion de Catherine TOURETTE-TURGIS. Elle reconnaît l’importance des savoirs expérientiels et l’expertise des malades chroniques en les diplômant (DU, licence, masters en éducation thérapeutique). Un droit de “pouvoir soigner” et de “pouvoir décider” des patients est en marche. La troisième   université va ouvrir à Grenoble[18].
En Rhône-Alpes, le Collectif Interassociatif Sur la Santé vient de cérer l’université de la démocratie en santé (UDS)[19].
Une structure de formation sur le territoire ardéchois aurait toute sa place.
4
Se référer, ou non, à une ou plusieurs communautés culturelles

Les savoirs vernaculaires et traditionnels ont disparu progressivement du champ de la santé, voire même les personnes en ont été expropriées par le progrès bio-technico-médical (I. ILLICH). Pour les psychanalystes, il n’y aurait pas de relation médecin-malade, mais une relation institution médicale-maladie (J. CLAVREUL). L’homme semble donc réduit aujourd’hui à une production pharmacologique de lui-même (P. PAUL), lequel, dans un déni de la violence de la vie et de la maladie, passe aujourd’hui bien souvent à côté de lui-même (C. MARIN). Face à la tentation eugéniste dans le champ de la santé, il est indispensable de faire émerger de nouveaux savoirs (A. GIORDAN) collectifs pour faire face à   la complexité du monde de la santé et de ses paradoxes. C’est tout l’intérêt aussi de la reconnaissance des droits culturels. Partager une culture en santé, accepter la réciprocité des savoirs, est un objectif prioritaire, dans les maladies chroniques, si nous voulons affronter de façon éthique les ruses de la violence dans les arts du soin (J.-F. MALHERBE) et ne pas avoir à choisir entre une éducation thérapeutique des patients ou les soins aux porcelets (D. BAUD).
Il est ressortit de la première journée de novembre 2014 à Neyrac-les-Bains, que la construction d’un site internet, qui associerait soignants et soignés pour acquérir ensemble de nouveaux savoirs, aurait sa place car actuellement les réseaux sociaux associent rarement professionnels et personnes atteintes de maladies chroniques.
5
Participer à la vie culturelle

L’accès était ouvert à tous par la gratuité de l’ensemble des thématiques proposées (ciné-débat, forum des associations, ateliers, débats). Tous les propos ont été recueillis (enregistrement audio, quelques vidéos) et restitués intégralement dans un écrit (Actes de la journée - ouvrage polyphonique téléchargeable sur le site internet). Ils viendront enrichir la réflexion.
Il faut noter la frilosité des instances de santé départementales et régionales (ARS) sur ce projet, faute de culture (capital culturel) dans ce champ émergent de réflexion et par ce qu’il ne rentrait pas dans la grille des actions portées par ces instances qui mettent en œuvre la politique de santé. La hiérarchisation pyramidale de notre système de santé, même si elle entrouvre la porte à  une certaine démocratie sanitaire, reste un frein majeur à la transversalité et à la reconnaissance des droits culturels des individus. Les instances régionales des professions de santé infirmières n’ont pas encore perçu l’importance de ce type d’action. Les syndicats professionnels ont “le nez dans le guidon”. Un travail pédagogique sur les droits culturels devra être mené en direction de la profession infirmière et médicale et de leurs formateurs.
Nous projetons de monter un documentaire autour des axes de la journée avec un recueil de témoignages pour approfondir les sujets abordés autour de la diversité culturelle et de la singularité.
6
S’éduquer et se former, éduquer et former dans le respect des identités culturelles

D’un point de vue soignant-éducateur, cette journée n’a pas été préparée sous un angle éducatif, faute de moyens et de compétences suffisantes dans ce domaine dans le groupe de pilotage. Les prochaines journées - si elles ont lieu - seront construites avec une méthodologie issue de la promotion de la santé et de l’éducation thérapeutique.
Il nous semble indispensable de réfléchir à la mise en place d’une structure de formation et d’accompagnement sur le territoire sud Ardèche pour se trans/former ensemble, ce que nous avions commencé à tester antérieurement dans le cadre du projet de santé de la Maison de santé pluriprofessionnelle des Vans et qui nous a permis d’en voir les freins et les leviers. L’éloignement géographique des grands centres universitaires est peu propice au développement du capital culturel des soignants, à fortiori lorsque certaines formations associeront les habitants et les associations. Deuxième problématique, si les professionnels se forment à l’extérieur, ils partageront difficilement les nouveaux savoirs qu’ils auront acquis. Troisièmement, si les formations ne sont pas transversales en incluant les bénéficiaires, elles ne permettront pas l’augmentation du pouvoir d’agir des habitants du territoire  et usagers des soins de santé primaires[20].
7
Participer à une information adéquate (s’informer et informer)

La participation de patients, d’associations de patients et citoyennes, du monde de la culture, doit permettre un accès à l’information en l’adaptant à chacun. Nous pensons qu’informer ne suffit pas. Il est nécessaire d’accompagner un tel changement de paradigme !
Le retour des associations de patients sur la faible implication des membres est pregnant et explicite une disposition culturelle centrée sur la consommation plus que sur la participation à l’heure actuelle. Nous constatons que les médias nationaux sollicités (Radio France Bleue, France 2, l’Observateur, l’Express,…) et les municipalités contactées ne se sont pas emparés de cette journée pour relayer l’information en partie par méconnaissance des droits culturels. Le groupe de pilotage a participé à l’évaluation de la journée et de plein droit est en capacité de faire des propositions pour la prochaine journée (voir en fin des actes de la journée, le bilan et les propositions).
Un gros travail de pédagogie et de communication est nécessaire pour amener les personnes à comprendre qu’elles jouent un rôle de partenaires dans la santé (démocratie participative) et qu’elles ont des droits culturels à faire valoir (patient expert).
8
Participer au développement de coopérations culturelles

Tous les intervenants sollicités ont été séduits par la démarche (de santé communautaire) et sont intervenus gracieusement, à l’exception de l’animateur dont les moyens financiers ne le permettaient pas! Une association du secteur social à celui de la santé est incontournable pour diminuer les inégalités sociales de santé. La prise en compte des savoirs expérientiels de chacun est une bonne condition de coopération culturelle. Nous avons réfléchi dans le cadre de la relation soignant–soigné à la co-construction d’objectifs de santé.

Quels sont les autres droits de l'homme concernés par cette pratique ? Pour chacun d’entre eux, identifier les aspects positifs et/ou négatifs.
Article premier. Égaux en dignité et en droits. En ce qui nous concerne, l’article premier concerne la santé par le biais du creusement du gradient des inégalités sociales de santé (ISS). Si les professionnels de santé ne peuvent à eux seuls lutter contre les ISS et doivent s’associer aux travailleurs sociaux, par contre, ils peuvent aggraver des inégalités secondaires par construction ou par omission.
Un capital culturel (P. BOURDIEU) des professionnels et des soignés insuffisant, pour aborder la complexité des enjeux (J.-L. LEMOIGNE, E. MORIN) de santé, renforce ces inégalités et retentit sur l’état de santé des personnes de façon individuelle (T. ABEL) et collective (D. FASSIN).
Les journées ont permis de considérer que nous avons tous besoin les uns des autres quand la santé défaille car nous sommes inter-reliés et que la santé se noue dans la réciprocité (empathie, sollicitude). Le mode de financement du système de santé actuel n’est pas facilitant par le morcellement des pratiques, la dispersion des acteurs, l’absence de lien entre la science biomédicale, les sciences humaines et sociales à tous les niveaux de formation des acteurs. La réunion des professionnels en réseaux, en pôles et maisons de santé sera une grande avancée à condition de repenser la santé, d’une manière positive : déterminants de santé, facteurs salutogéniques et capabilités, et de façon globale : prise en compte des quatre niveaux de réalité physique, psychique, sociale, existentielle/spirituelle.
Article 25. Droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé. Selon l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être à la fois physique, mental et social et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. Pouvoir bénéficier du niveau de santé le plus élevé possible est l’un des droits fondamentaux de tout être humain, sans distinction de race, de religion, de conviction politique ou de conditions économiques et sociales. »
Mais pour atteindre cet état la charte d’Ottawa (OMS, 1986) en a définit les grands axes, dont nous en sélectionnons quelques lignes car elles concernent la pérennité de notre projet. Nous en soulignant certains passages :
L'effort de promotion de la santé vise à l'équité en matière de santé. Le but est de réduire les écarts actuels dans l'état de santé et de donner à tous les individus le moyens et les occasions voulus pour réaliser pleinement leur potentiel de santé. Cela suppose notamment que ceux-ci puissent s'appuyer sur un environnement favorable, aient accès à l'information, possèdent dans la vie les aptitudes nécessaires pour faire des choix judicieux en matière de santé et sachent tirer profit des occasions qui leur sont offertes d'opter pour une vie saine. Sans prise sur les divers paramètres qui déterminent la santé, les gens ne peuvent espérer parvenir à leur état de santé optimal, et il en est de même pour les femmes que pour les hommes.
… Le secteur de la santé ne peut, à lui seul, assurer le cadre préalable et futur le plus propice à la santéLa promotion de la santé exige, en fait, l'action coordonnée de tous les intéressés : gouvernements, secteur de la santé et autres secteurs sociaux et économiques, organisations non gouvernementales et bénévoles, autorités locales, industries et médias. Quel que soit leur milieu, les gens sont amenés à intervenir en tant qu'individus, ou à titre de membres d'une famille ou d'une communauté. Les groupes professionnels et sociaux, tout comme les personnels de santé sont, quant à eux, particulièrement responsables de la médiation entre les intérêts divergents qui se manifestent dans la société à l'égard de la santé.
… La promotion de la santé va bien au-delà des simples soins de santé. Elle inscrit la santé à l'ordre du jour des responsables politiques de tous les secteurs et à tous les niveaux, en les incitant à prendre conscience des conséquences de leurs décisions sur la santé et en les amenant à admettre leur responsabilité à cet égard.
è Nous affirmons donc que sans volonté politique locale forte et sans l’implication coordonnée des élus, des professionnels de santé, des responsables d’enetreprises privées, des associations du secteur social, du monde de l’éducation nationale, de la culture et des habitants du territoire, il sera difficile de tendre vers un objectif de réduction des inégalités sociales de santé et vers une qualité de vie et un niveau de santé plus élevé.
Nous poursuivons la lecture de la charte :
REORIENTATION DES SERVICES DE SANTE
… Par delà son mandat qui consiste à offrir des services cliniques et curatifs, le secteur de la santé doit s'orienter de plus en plus dans le sens de la promotion de la santé. Les services de santé doivent se doter d'un mandat plus vaste, moins rigide et plus respectueux des besoins culturels, qui les amène à soutenir les individus et les groupes dans leur recherche d'une vie plus saine et qui ouvre la voie à une conception élargie de la santéen faisant intervenir, à côté du secteur de la santé proprement dit, d'autres composantes de caractère social, politique, économique et environnemental. La réorientation des services de santé exige également une attention accrue l'égard de la recherche, ainsi que des changements dans l'enseignement et la formation des professionnels. Il faut que cela fasse évaluer l'attitude et l'organisation des services de santé, en les recentrant sur la totalité des besoins de l'individu considérés dans son intégralité.
è Notre projet amorce cette réorientation des services, en sensibilisant les acteurs que nous avons réunis, par une conception élargie de la santé.

Nous pensons que si le Conseil général de l’Ardèche, au travers de son service santé et social s’associe à notre projet, avec d’autres partenaires potentiels tels que le Parc des Monts d’Ardèche et le Pays d’Ardèche méridionale, non seulement nous ferons avancer les droits culturels dans le champ de la santé mais nous nous engagerons également dans une politique de promotion de la santé à l’échelon du territoire de façon systémique et cordonnée sur la base d’une culture partagée. Les droits culturels pouvant en   devenir une des portes d’entrée.

Quel bilan économique en tirez-vous ? (financement dépendant d’une seule source /mixte ? équilibré ? optimisation de toutes les ressources). Est-ce durable ?
Cette première journée (initialement le projet se déroulait sur deux jours avec des ateliers plus développés) a rencontré des difficultés sur un plan financier,   car elle était portée par la bonne volonté d’individus motivés mais sans lien sous forme associative.Des interventions artistiques n’ont pu se dérouler faute d’une enveloppe suffisante. Alors que nous avons maintenu la gratuité de la manifestation, les frais ont été réduits au maximum (édition, communication, déplacement, hébergement, nourriture, interventions). Ils ont été couverts par le Conseil général, l’enveloppe des nouveaux modes de rémunération (NMR I) de la MSP des Vans, par le SITHERE (syndicat intercommunal pour le thermalisme et l’environnement), par une émanence de la Caisse d’Assurance-Maladie et par les Thermes de Neyrac-les-Bains. Les bénévoles du Centre socio-culturel d’Aubenas et d’autres associations ont contribué à la réussite du projet.

Bilan économique à moyen et long terme : « En préconisant un retour aux soins de santé primaires, l'OMS soutient que leurs valeurs, principes et conceptions sont plus pertinents que jamais. Plusieurs éléments confortent cette conclusion. Comme le relève le rapport, les inégalités en matière de résultats sanitaires et d'accès aux soins sont bien plus grandes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient en 1978. Il arrive bien trop souvent que ce soient les gens riches et en meilleure santé qui aient le meilleur accès aux meilleurs soins, alors que les pauvres sont livrés à eux-mêmes. Les soins de santé sont souvent dispensés selon un modèle qui se concentre sur les maladies, sur les technologies de pointe et sur les soins spécialisés, la santé étant considérée comme le résultat d'interventions biomédicales et le pouvoir de la prévention largement ignoré. Les spécialistes accomplissent parfois des tâches qui conviendraient mieux à des généralistes, des médecins de famille ou du personnel infirmier. Cela contribue à l'inefficacité, limite l'accès et prive les patients des possibilités de recevoir des soins complets. Lorsque la santé est laissée de manière disproportionnée aux mains des spécialistes, toute une série de mesures protectrices et préventives tend à se perdre. L'OMS estime qu'un meilleur recours aux mesures préventives existantes permettrait de réduire la charge mondiale de morbidité de près de 70%.[21] » Ajoutons que cette préconisation ne concerne que la pathogenèse (santé négative), et que la salutogenèse et la promotion de la santé (santé positive) contribueraient à réduire encore plus la charge de morbidité.

Est-ce que ce projet est durable ? La poursuite de ce projet est conditionnée par la création d’une association multilatérale sur le territoire ardéchois incluant les professionnels de santé du premier recours, les associations d’usagers ou de patients, les habitants, les décideurs de la politique sociale et de santé du Conseil général, les élus des structures territoriales et l’Agence Régionale de santé.
Des conditions préalables sont indispensables :
-        Nécessité d’une formation préalable des acteurs à partir des valeurs de la promotion de la santé méthodologie de projet). Ces formations peuvent être assurées par Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé Drôme-Ardèche et Rhône-Alpes.
-        Recherche de financements des formations, de la structure portant ce projet, des ateliers, pour la construction et du développement du site internet et des journées est corrélé à la constitution du collectif en association.
-        Partenariat avec le Conseil général de l’Ardèche porteur des droits culturels. Idéalement, le Conseil général est un acteur de santé publique incontournable au regard de la Charte d’Ottawa. En nous associant à l’engagement du département dans la promotion des droits culturels sur le versant social[22], nous pourrions mutualiser nos compétences sur le versant santé, compte-tenu de l’importance des déterminants sociaux dans le gradient des inégalités sociales de santé, et de notre objectif de développer le pouvoir d’agir. Rappelons que la santé des gens ne se divise pas en curatif et en préventif, en social et en environnemental : ce sont les services et les administrations qui sont divisés[23]. D’autre part, le secteur médico-social est rattaché au Conseil général. Il est en outre en lien avec le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche et le Pays de l’Ardèche méridionale qui regroupent plus de 140 communes ardéchoises du Sud Ardèche. Aujourd’hui, ces structures ne mesurent pas la nécessité d’une action construite collectivement dans le champ de la promotion de la santé.
-        Pouvoir engager un travail pédagogique auprès des maires des communes et notamment ceux qui ont les capacités d’accueillir ces journées (Aubenas, Vals, Ruoms, etc…).
-        Soutien du sous-préfet de l’Ardèche et de la députée de la circonscription.
-        Soutien des URPS régionales
-        Construire un partenariat avec l’ARS,
-        Travailler avec l’Université (médecine, sciences sociales, sciences humaines) pour engager des travaux de recherche dans le domaine des facteurs qui produisent de la santé.
-        Être en capacité de diffuser les travaux (enquêtes, écrits, vidéos) auprès des professionnels, associations, institutionnels, etc…

Prospectives
Quelles sont les perspectives futures de cette pratique ?
La condition première est la recherche d’une volonté politique et institutionnelle.
-        Volonté de réorienter les services de soins du premier recours vers la promotion de la santé et l’effectivité des droits culturels en lien avec la santé.
-        Volonté d’accompagner les patients à augmenter leur pouvoir d’agir et de décider.
-        Volonté de développer la formation transversale en équipes pluri-, inter-disciplinaires, inter-sectorielles pour partager ensemble une culture de promotion de la santé en s’appuyant sur les ressources locales.
-  Volonté de mettre en place une structure de formation et de communication orientée vers la promotion de la santé.
-        Volonté de prendre en compte et d’intégrer les habitants dans la construction des projets et des objectifs dans une démarche participative au sens de la santé communautaire.

La seconde condition est la réforme de la pensée pour mieux répondre à la complexité des situations rencontrées aujourd’hui, diminuer les inégalités sociales de santé, améliorer la qualité de vie sur le territoire :
-        Construction et utilisation d’outils appropriés avec des moyens adaptés pour intervenir en santé de façon systémique (méthodologie propre à l’éducation des patients, à la promotion de la santé, Outil de catégorisation des résultats de projets de promotion de la santé et de prévention, en particulier) et en étant réellement centré sur les attentes des personnes et les besoins perçus par les professionnels de santé,
-        Promotion des actions favorisant l’empowerment des patients et des habitants
-        Développer la recherche en promotion de la santé sur le territoire sud ardèche et devenir département pilote.


Localisation de l’impact des droits culturels sur la santé.
-         



[1] MORIN E. Science avec conscience, éditions Fayard, Points Sciences, 1990.
[2] de TOFFOL B. LEMOINE M., coord. D’après FEYERABEND P. In Manuel de sciences humaines en médecine. Édition Éllipses, 2013.
[3] GADAMER H.-G. Philosophie de la santé. Édition Grasset-Mollat, La grande raison, 1998, p. 116.
[4] Le positivisme est incompatible avec l’accompagnement de l’humain. La phénoménologie, l’herméneutique sont des modes d’entrée en relation dans les maladies chroniques et la promotion de la santé cohérents avec les droits culturels.
[5] GUEIBE R. L’interrogation des paradigmes dans le soin, une exigence éthique. Perspective Soignante, n° 33, décembre 2008, Editions Seli Arslan, Paris.
[6] GADAMER H.-G.
[7] DE BENOIT A. Démocratie représentative et démocratie participative. http://files.alaindebenoist.com/alaindebenoist/pdf/democratie_representative.pdf
[8] MANCIAUX M. DESCHAMPS J.P. La santé de la mère et de l’enfant. Paris, Flammarion Médecine Sciences, 1978, p. 31
[9] http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf
[10] LINDSTRÖM B. ERICKSSON M. La salutogenèse. Petit guide pour promouvoir la santé. Édition des Presses de l’Université de Laval, octobre 2012. https://www.pulaval.com/produit/la-salutogenese-petit-guide-pour-promouvoir-la-sante
[11] http://www.inpes.sante.fr/outils_methodo/categorisation/guide-fr.pdf
[12] http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/detaildoc.asp?numfiche=1250
[13] http://education-sante-ra.org/prc/evaluation/elearning/index.asp
[14] Lieu de contrôle de la santé. Le locus of control peut être externe ou interne à la personne selon la conception que l’on a de la santé. De la même façon, on parlera pour l’empowerment du locus of power interne ou externe.
[15] Toutes les références entre parenthèses figurent dans les Actes de la première journée de la grande santé.
[16] Notion qui regroupe capacité, habileté et habilité, développée par Amartya SEN (prix Nobel d’économie, 1998). Source Texte d’intention du Conseil général de l’Ardèche, déjà cité.
[18] http://www.universitedespatients.org/wp-content/uploads/2015/presse/10403852.jpg
[19] http://cissra.org/fr/nos-actions-du-cissra/formation/
[20] Déclaration d’Alma-Ata, 1978 : Les soins de santé primaires sont des soins de santé essentiels fondés sur des méthodes et une technologie pratiques, scientifiquement viables et socialement acceptables, rendus universellement accessibles aux individus et aux familles dans la communauté par leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent ssumer à chaque stade de leur développement dans un esprit d’autoresponsabilité et d’autodétermination.
[21] Communiqué de presse. Le rapport sur la santé dans le monde 2008 préconise un retour aux soins de santé primaire. http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2008/pr38/fr/
[22] DUCHAMP M.-C. CONDEMINE N. GRAZIANI G. CAMPESE A.-C. Contribution du Conseil général de l’Ardèche. Projet Paideia 4D, version du 6 juin 2014. Interventions sociales – Territoires et droits culturels. Que veut-on comme travail social aujourd’hui ? Texte d’intention.
[23] Jacques BURY. Journal de l’Université d’été francophone en santé publique de Besançon, n°1, 29 juin 2008.




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